1. Le Schéma directeur intercommunal de Malley n'a jamais été voté par aucun conseil communal
Les projets de Malley sont le fruit d'une longue réflexion, entend-on souvent. C'est exact: les travaux préparatoires ont duré plus de dix ans. Il faut savoir aussi que le Schéma directeur intercommunal de l'Ouest lausannois (SDIM) qui en est résulté en 2012 n'a JAMAIS été voté ni même discuté par aucun conseil communal, mais élaboré par une poignée de municipaux et urbanistes. Il n'a, en l'état, aucune validité légale bien que les autorités le présentent comme le socle de tous les plans de quartier et d'affectation.
Relevons au passage que la révision de la Loi cantonale sur l'aménagement du territoire (LCAT) discutée en cet été 2016 propose de généraliser à l'avenir cette façon de faire à tout le canton, ce qui est pour le moins étrange sous l'angle des droits démocratiques!
2. Les exigences de la "Stratégie tours" ne sont pas respectées, le "pool d'experts" est un exercice-alibi
Suites à plusieurs refus populaires, les autorités cantonales et communales savent que les projets de tours sont politiquement sensibles dans un site comme celui de Lausanne. Elles ont donc commandé dans le cadre du Projet d'agglomération Lausanne-Morges (PALM) une "Stratégie pour l'implantation des tours", publiée en janvier 2014. Celle-ci ne dit pas à quels endroits construire des tours mais se présente comme une "boîte à outils" à disposition des décideurs.
En page 26 de ce document figurent une liste d'exigences précises et "impératives" destinées aux porteurs de projets de tours, privés ou publics. Il vaut la peine de les citer in extenso:
Pour faciliter l’analyse des projets de tour et évaluer la pertinence des réponses aux différents critères, un dossier complet est nécessaire. Celui-ci doit impérativement contenir les documents suivants, fournis par les porteurs de projet (en plus du dossier de plans d’architecture et d’aménagement des espaces extérieurs, de la plus grande à la plus petite échelle).
1. A l’échelle du contexte urbain, en faisant explicitement référence aux cartes:
-
plans et schémas commentés nécessaires à la compréhension du contexte élargi;
-
coupes sur le grand territoire permettant de juger de la modification de la skyline;
-
maquette du projet intégrée dans la maquette du secteur (p.ex. maquette de la Ville de Lausanne ou maquette de l’Ouest lausannois);
-
photos-montages depuis les points de vues pertinents (lointains et proches), tels que mentionnés sur la carte.
2. A l’échelle du voisinage:
-
plans et schémas commentés nécessaires à la compréhension du contexte proche;
-
insertion de la tour dans son environnement proche, avec les ombres portées sur le voisinage à différentes heures de la journée;
-
maquette au 1/500ème de(s) l’objet(s) dans son environnement proche;
-
simulations (perspectives ou photomontages) depuis l’espace public.
S'agissant des projets de Malley et notamment du plan de quartier Malley-Gare, ces exigences ne sont pas respectées. Notre association a demandé à de réitérées reprises que les documents ci-dessus soient portés à la connaissance du public, ce qui paraît la moindre des choses vu qu'on parle de la plus importante intervention urbanistique de cette génération au moins dans la région lausannoise. Nous n'avons essuyé jusqu'ici que des refus ou des réponses dilatoires. Une maquette a bien été exposée pendant un mois au début 2015; elle est un outil très imparfait puisqu'elle se voit d'en haut et ne permet pas de se faire une idée de l'impact visuel des bâtiments au niveau du sol et à des points de référence connus, comme le vivront les habitants. Même cet outil imparfait est aujourd'hui remisé dans les locaux du Schéma directeur de l'Ouest lausannois (SDOL).
En lieu et place, le SDOL propose sur le site de Malley des panneaux d'information dont les tours sont curieusement absentes. Il imprime et distribue - avec l'argent des contribuables - de nombreux sets de table où certains bâtiments de Malley apparaissent en relief, alors que les futures tours sont signalées par de minuscules taches de couleur, sans relief.
La "Stratégie pour l'implantation des tours" prévoit aussi un "pool d'experts", qui a été constitué au printemps 2016. Des explications demandées par notre association, il ressort que ces experts "à disposition" des autorités n’interviennent qu’à leur demande, et seulement si un projet n’a pas fait l’objet d’un concours d’urbanisme. De plus, les communes sont libres de tenir compte ou non de leur avis, libres d’en assurer "une diffusion plus large"... ou pas. Dans ces conditions, la création du "pool" relève de l'exercice-alibi. Nous avons fait part de nos craintes et critiques aux experts eux-mêmes et au canton. Nous n'avons reçu aucune réponse à ce jour.
3. La "transparence exemplaire" vantée par les autorités est un leurre.
Les responsables du SDOL affirment que la communication sur les projets de Malley a été "particulièrement transparente". Nous contestons fermement ce point, qui mérite d'être développé avec précision.
Le SDOL se réfère d’abord à l’étude "Secteur Bussigny à Sébeillon / Lignes directrices et stratégie d’aménagement" mise en consultation en juillet 2005. Si celle-ci se gargarise d’un "lieu brillant à image forte, doté d’accents architecturaux affirmés", elle ne précise jamais si ces "accents" seront concrétisés par des tours, combien, et de quelle hauteur. Il n’est guère étonnant que dans ces conditions, les douze prises de positions recueillies soient "très majoritairement favorables aux principes généraux définis par l'étude", comme l'écrit le SDOL. La notice en relève pourtant deux qui "expriment une réticence face au développement prévu et suggèrent de le freiner plutôt que de l'encourager". Elle note aussi la "demande d'une plus forte implication des associations et de la société civile (conférence d'agglomération, commission interparlementaire, démarche participative)", et la "préoccupation concernant la pollution de l‘air". La suite des événements montre le peu de cas qu’on en a fait.
Une image valant plus que mille mots, voyons une de celles illustrant cette étude:
Une concertation alibi
Sur cette image apparaît bien une tour au sud du viaduc du Galicien, à l’est de l’avenue du Chablais et proche des voies CFF, ainsi que trois bâtiments hauts au sud des voies CFF. La "vue d’artiste" laisse toutefois supposer que la hauteur de la plus haute construction ne dépasse guère le double de celle de Malley-Lumière. Or la tour de cent mètres envisagée aujourd’hui près du viaduc serait trois à quatre fois plus haute que Malley-Lumières, et les quatre autres tours plus hautes que ne le suggère l’illustration.
En passant, si des tours sont envisagées dans les "Lignes directrices" de 2005, c’est plutôt à Renens, comme le montre cette autre illustration...
Affirmer que la population a été informée dès 2005 des projets actuels à Malley relève donc de l’imposture.
Passons aux études-test de 2006 publiées sous le titre "Reconvertir une friche". Quatre bureaux d’architectes y ont participé, deux ateliers ont été ouverts au public, réunissant chacun 40 à 60 personnes selon le SDOL. Là, les illustrations des projets donnent carrément dans le bucolique.
Atelier Wehrlin:
Atelier Lüscher:
Bureau KCAP:
Tribu Architecture:
Le bureau "Tribu" prévoit une seule tour (côté Longemalle), le bureau Wehrlin deux – là aussi, bien plus basses que les projets actuels. Il est question dans l’étude de "favoriser, à certains endroits, des constructions en hauteur, comme éléments de repère, afin de pouvoir réserver d'importantes surfaces libres à valeur d’espace public majeur", mais ces endroits et cette hauteur ne sont jamais précisés. Comme pour les "Lignes directrices", il est abusif de se prévaloir du son contenu pour prétendre que les habitants ont été informés de façon "transparente" sur les projets tels qu’ils se sont développés.
Le SDIM, en 2012, n’a pas clarifié cette situation. Nous en retenons ces illustrations à propos du "Strip", qui était alors envisagé comme zone à forte densité pour Malley (les plans ont évolué depuis):
Une fois de plus, rien ne permet de se faire une idée de la hauteur des futurs bâtiments, ni des effets concrets d’une densification non pas à 400-500 habitants et emplois à l’hectare, mais poussée à 650. Dès lors, il n’est pas étonnant, ici aussi, que les observations du public sur les projets présentés soient maigres: on ne lui a presque rien montré!
La présentation du projet "Coulisses" en 2012, suite à un concours d’architecture, montre pour la première fois sur maquette ce que donnerait la construction de deux bâtiments hauts à Malley-Gare, ceux des alentours n’étant d’ailleurs pas particulièrement bas:
Relevons que Malley-Viaduc reste le grand absent de ce concours, alors que deux tours - dont celle de cent mètres, la plus proche des habitations au nord! – y sont envisagées. C’est totalement incompréhensible alors que dans le même temps, les autorités évoquent un "bouquet de bâtiments hauts pertinent à l'échelle du grand paysage".
Ce n’est qu’en janvier 2015 que les cinq, voire six tours envisagées à Malley sont présentées avec plus de précision (pendant un mois) sur une maquette et quelques rares visuels, généralement incomplets et souvent flatteurs.
Tout ceci constitue-t-il une information "particulièrement transparente" ? Nous y voyons au contraire une désinformation sinon volontaire et systématique, du moins par ommission.
4. La tactique du salami empêche d'avoir une vue d'ensemble
Les intentions des autorités ont été clairement exprimées dans plusieurs documents et à de réitérées reprises. Citons cet extrait du rapport de mise à l’enquête de Malley-Gare: "Le futur quartier ne sera pas identifié par un seul grand monument mais plutôt par une silhouette résultant de la mise en tension de plusieurs émergences de hauteurs et de formes variées, qu’il reste à inventer afin qu’elles dessinent et expriment – de concert – cette étape d’urbanisation".
Or il est actuellement impossible pour les habitants de se faire une idée de cette "silhouette" ou "insertion dans le contexte urbain" pour reprendre les termes de la "Stratégie tours". Non seulement les projets de tours sont saucissonnés en plusieurs plans de quartier, mais en plus une opacité délibérée est entretenue au sujet de leur hauteur réelle, à Malley-Gare notamment.
Le débat démocratique s’en trouve manifestement faussé.
Pour corriger cette situation, notre association a demandé:
--- La pose de gabarits et/ou de ballons montrant les hauteurs maximales possibles au stade des plans de quartier déjà. L’argument selon lequel les hauteurs définitives à Malley-Gare ne seront connues qu’après un concours d’architecture n’est pas pertinent. Les intentions des autorités sont claires, comme rappelé ci-dessus, et il est nécessaire que les habitants voient ce que donnerait leur concrétisation. Cela est techniquement faisable, comme l’a montré le plan de quartier Taoua à Lausanne.
CETTE DEMANDE A ETE REFUSEE.
--- Des plans et schémas, coupes et photomontages montrant l’insertion de toutes les tours envisagées à Malley, à l’échelle de l’agglomération et du voisinage, ainsi que l'exige la "Stratégie tours".
CES DOCUMENTS N'EXISTENT PAS OU SONT MANIFESTEMENT INSUFFISANTS.
Si le plan de quartier de Malley-Gare est accepté sans que cette information ait été fournie, il sera trop tard ensuite pour s’opposer à des bâtiments dont les citoyens auront découvert trop tardivement la hauteur ou les volumes.
--- Que les travaux du "pool" d’experts soient rendus publics, et que ce dernier ne se prononce pas seulement sur des projets isolés les uns des autres, mais sur le tout. Seule une vision d’ensemble et publique des projets de tours lui confèrera une véritable utilité.
LE POOL D'EXPERTS N'A REPONDU A AUCUN DE NOS DEUX COURRIERS.
5. Conclusion
Le site de Malley est une belle opportunité de créer un nouveau morceau de ville, mais aussi un casse-tête décisionnel: trois communes y sont impliquées - Renens, Prilly et Lausanne - plus le canton de Vaud, les CFF et un certain nombre de propriétaires, publics et privés.
Sur un point au moins, il y a eu progrès par rapport aux années 1960-2000, où l'Ouest lausannois se développait de façon anarchique: les acteurs publics se sont mis autour d'une table pour créer le Schéma directeur de l'Ouest lausannois (SDOL). Depuis plus de dix ans, cette entité commune planifie, commande des études, fixe des priorités et des axes forts. Ce travail est indispensable.
Mais c'est souvent dans la dernière ligne droite que les choses se gâtent, quand les bonnes intentions s'essouflent face aux impératifs de rentabilité, quand les promesses s'évaporent, quand la facilité et la médiocrité prennent le dessus. Le diable est dans le détail, dit-on. C'est particulièrement vrai en urbanisme.
A Malley, les choses se compliquent du fait que les 8000 à 10 000 nouveaux habitants et emplois... ne sont pas encore là, justement. On ne sait pas ce qu'ils pensent. Quant aux habitants actuels, ils n'ont pas tous les mêmes buts. Certains, parmi les commerçants notamment, se réjouissent de voir augmenter leur clientèle, peu importe à quoi ressemblera le quartier. Les voisins se préoccupent légitimement des nuisances qu'entraîneront un quasi doublement de la population dans cette zone et une augmentation sensible de la circulation sur des artères déjà surchargées.
C'est aux uns et aux autres que nous pensons en demandant que la population soit informée de façon transparente, complète, puis qu'elle se prononce. Nous voulons un quartier accueillant, à taille humaine - aussi bien pour les nouveaux arrivants que pour ceux qui vivent aujourd'hui dans les environs.